Du ciel, pas une goutte n'était tombée aux deux-tiers de l'admirable Hommage à Paul Simon, grand événement du 27e Festival international de jazz de Montréal. Pourtant, il pleuvait. De l'extraordinaire songbook de Paul Simon pleuvait grande chanson américaine après grande chanson américaine: c'était le 4 juillet, fête nationale des États-Unis d'Amérique, et nous célébrions à travers ce répertoire notre américanité. L'autre Amérique. La Louisiane où Zachary Richard nous amenait, au rythme de Take Me To The Mardi Gras (de l'album There Goes Rhythm' Simon, de 1973). Les routes où Michel Rivard nous amenait en Greyhound, chantant à pleins poumons «I've gone to look for America...»
Comme un fan
Quelle profonde compréhension de notre identité nord-américaine, quelle saine et belle initiative qu'a eue là André Ménard, cofondateur du FIJM et maître metteur en scène de spectacles collectifs. On le savait depuis la Fête à... Ferland qu'il avait fomentée pour les FrancoFolies, Ménard pense ses spectacles comme un fan (parce qu'il est d'abord un fan). Quand il a su que Paul Simon chanterait au festival (ce soir, à Wilfrid), ça lui est venu comme ça nous viendrait: et si on lui consacrait le grand événement? Oui, mais pas n'importe comment. Et pas avec n'importe qui: avec la plus belle affiche imaginable d'artistes disponibles: Daniel Lanois, Elvis Costello, Allen Toussaint, Zachary, Rivard, etc.
Ménard a aussi eu des idées. Des tas de bonnes idées. À commencer par l'intro, The Sound Of Silence en récitatif, préalablement enregistré par Leonard Cohen. «Hello darkness my old friend / I've come to talk with you again...» La belle voix du poète rebondissait sur les bâtisses, immense. Et puis il y a eu la haie des onze jeunes percussionnistes, devant la scène, lançant The Obvious Child. Idée spectaculaire autant qu'utile: ça nous empêchait de trouver l'interprétation de Colin James ordinaire. Bonne idée aussi d'avoir réglé le cas de Holly Cole tôt dans le programme: ses relectures des Kodachrome et Mrs. Robinson étaient un peu expédiées. Ensuite, dans la séquence prévue par Ménard, c'était le parfait crescendo: les Bedouin Soundclash ont démarré Mother And Child Reunion en reggae bien serré et le niveau d'intensité a instantanément monté. Terrain idéal pour l'arrivée d'Elvis Costello, dûment reçu en héros: en vrai spécialiste de Paul Simon, le Britannique a servi une chanson moins connue mais parfaitement de circonstance en ce 4 juillet, à la fois commentaire politique et prière folk: Peace Like A River, de l'album éponyme de Simon, paru en 1972. Plus fort encore, Allen Toussaint a chanté l'emblématique American Tune (merveille de 1973), avec Costello en renfort pour le pont. Toussaint est resté au piano pour Take Me To The Mardi Gras. Comme il le fallait. C'était encore du Ménard tout craché: impossible de souhaiter plus naturelle suite de chansons et d'interprètes.
Quelques larmes
De la même fluide manière, Ariane Moffatt est venue rejoindre Rivard après America, le temps de faire l'Artie (Garfunkel) pour The Boxer: émotion garantie. Je suis parti à ce moment-là, tombée oblige, mais rien qu'à lire la liste des chansons prévues, je savais que ça ne pouvait que lever plus haut. Kevin Parent allait se payer une sacrée traite avec Me And Julio Down By The Schoolyard. Jeri Brown et sa chorale allaient entonner Loves Me Like A Rock: sûr que la grande scène est devenue hôtel et l'esplanade une gigantesque église. Zachary puis Daniel Lanois allaient nous achever ça en toute spiritualité avec Bridge Over Troubled Waters et The Sound Of Silence. Ménard avait pensé à ça aussi: une finale sobre. Avec pour seules gouttes quelques larmes.
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